TAIFA DE DENIA ET LA MEDITERRANEE AU XIE SIECLE.EDICIONES MERIDIENNES

TAIFA DE DENIA ET LA MEDITERRANEE AU XIE SIECLE.EDICIONES MERIDIENNES

TRAVIS,BRUCE

30,00 €
IVA incluido
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Editorial:
MERIDIENNES.UNIVERSITÉ DE TOULOUSE- LE MIRAIL
ISBN:
978-2-912025-90-6
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En s’intéressant à l’histoire de la taifa de Denia, Travis Bruce n’était pas sur un terrain totalement vierge. Plusieurs chercheurs espagnols s’étaient déjà penchés sur cet émirat issu de la dislocation du califat omeyyade d’al-Andalus, et notamment Rafael Azuar Ruiz (1989). Son travail, issu d’une thèse soutenue en 2009 à l’université de Toulouse sous la direction de Philippe Sénac, renouvelle en grande partie ces approches traditionnelles en changeant le cadre et les échelles d’analyse. Sans négliger la configuration politique compliquée des taifas andalouses, il interprète l’histoire de l’émirat de Denia dans un double contexte ibérique et méditerranéen, s’inscrivant en cela dans le renouvellement récent des études sur la présence musulmane et les ports musulmans en Méditerranée (Picard, sous presse). Ce qu’il explore, c’est une expérience à la fois unique par son ampleur, mais aussi partagée par d’autres villes du monde musulman occidental au XIe siècle, à savoir l’insertion de Denia dans des réseaux d’échanges à l’échelle de la Méditerranée et fortement marqués par l’essor du transport maritime.
La durée de vie de cet émirat est relativement courte, et couvre les règnes de l’émir Mujahid al-?Amiri (400-436/1010-1044) et de son fils ?Ali (436-468/1044-1076), jusqu’à sa conquête et son annexion par la taifa de Saragosse en 1076. Et ce n’est pas le moindre mérite de TB que d’avoir su mobiliser toutes les sources disponibles, à la fois textuelles (arabes pour l’essentiel), documentaires (lettres de la Geniza, archives latines) et matérielles (numismatique, céramiques, un peu d’archéologie urbaine et rurale). Une présentation synthétique de ces sources aurait cependant été utile en début de volume, non seulement par respect des conventions académiques, mais aussi parce que leurs lacunes ou les orientations qu’elles induisent conditionnent assez largement la réflexion, notamment sur « l’échec » de l’expérience méditerranéenne des émirs de Denia.
TB rappelle tout d’abord les prémices de l’ouverture méditerranéenne de la côte orientale d’al-Andalus, au ixe et surtout au xe siècle lorsque les califes de Cordoue développent une politique navale plus cohérente et ambitieuse, reprenant à leur compte des réseaux formés progressivement par des ba?riyyun autour de quelques pôles comme Péchina, le Fraxinet ou les Baléares, mais aussi un réseau de riba?s littoraux. Cela lui permet d’inscrire la politique des émirs de Denia dans une tradition politique dans laquelle la mer est à la fois source de richesses (par le commerce ou la course principalement) mais aussi de légitimité (par le djihad). La fondation de l’émirat ‘amiride l’oriente cependant plus résolument vers la mer, avec la fondation d’une capitale en position littorale, sur un site qui était semble-t-il resté inoccupé depuis l’abandon de la ville romaine. Jusque-là périphérie peu développée et mal intégrée aux réseaux d’échanges, doté d’un hinterland assez ingrat, le littoral de Denia connaît alors un développement remarquable. Ce n’est certes pas la seule taifa méditerranéenne : Valence, Tortose, Murcie ou Almeria deviennent également des capitales d’émirats, et s’appuient parfois sur une tradition maritime plus ancienne. Mais c’est à Denia que l’articulation entre construction politique ibérique et projection méditerranéenne a été le plus poussée. « Point de rencontre entre al-Andalus et la Méditerranée » (p. 25), Denia s’impose comme un pôle d’impulsion dans des réseaux d’échanges à la fois terrestres et maritimes, pensés et construits en fonction d’un projet politique précis, que TB qualifie de « califat maritime » (p. 148) ou de « thalassocratie ». Ce concept de réseau est au cœur de la réflexion de TB – et sans doute aurait-il gagné à être défini de manière plus théorique. Il permet de donner une intelligibilité à la construction politique et territoriale des émirs de Denia. La réflexion menée (p. 85-86) sur la « territorialité éclatée [sur terre et sur mer] et en évolution constante » de la taifa est à cet égard particulièrement intéressante, car elle permet d’éclairer les logiques à l’œuvre dans la politique des émirs. Le territoire contrôlé est alors celui sur lequel s’exerce une fiscalité mais aussi celui qui permet aux réseaux d’échanges de fonctionner et d’être maîtrisés. La politique des émirs est en grande partie guidée par le contrôle et la domination de ces réseaux, et donc par des logiques qui sont avant tout commerciales et économiques. La mise en défense du territoire répond aussi à la nécessité de sécuriser les routes reliant le port à son hinterland et à des réseaux terrestres plus lointains, mais aussi de garantir la levée des taxes. L’organisation du territoire et du peuplement aussi, qui voit un mouvement de colonisation agraire le long des axes de circulation et dans la zone littorale, montrant une restructuration de l’espace en fonction du nouveau pôle d’impulsion que constitue Denia et de la commercialisation des produits du sol, dans une interaction pensée entre le port et son hinterland. La politique navale, surtout, est mise au service de cette ambition méditerranéenne. L’arsenal de Denia, les ressources de l’émirat, mais aussi les initiatives privées de marins ou de marchands participent à cet effort de conquête d’un espace maritime. Privilégiant dans un premier temps une activité de rapine qui apporte à la fois du butin et une légitimité au titre du djihad maritime, les émirs construisent en même temps les instruments d’un contrôle de l’espace maritime qui passe par une mise en valeur du littoral et surtout la conquête des îles – les Baléares à un jour seulement de navigation et, pour un temps, la Sardaigne. Cette maîtrise de la « route des îles » permet dans un second temps d’adopter une politique moins belliqueuse qui met l’accent sur les échanges commerciaux, au sein du monde musulman mais aussi avec les chrétiens.
TB montre ainsi que la diplomatie déployée par les émirs de Denia s’explique en grande partie par des enjeux commerciaux : « La conquête du territoire se fit en fonction des grands axes de communication et la diplomatie emprunta souvent les mêmes chemins que les marchandises » (p. 89). Cela vaut pour les relations avec les taifas voisines, que TB analyse successivement, en commençant par les principautés maritimes du Sharq al-Andalus (Tortose, Valence, Tudmir et Almeria), puis celles de l’intérieur (Séville, Tolède, Badajoz et enfin Saragosse qui finit par annexer Denia). Il montre que ces relations, compliquées, visent en partie à garantir l’acheminement des marchandises jusqu’au port de Denia, et que ce n’est qu’après l’échec en Sardaigne que les ?Amirides, par un mouvement de balancier entre visées méditerranéennes et visées ibériques, se replient sur une politique plus centrée sur la Péninsule. Leur ouverture sur la mer et les routes du grand commerce les amène à nouer des relations avec les autres puissances musulmanes de la région, notamment au Maghreb.